Témoignage du Dr. Amin Gasmi, chercheur
Tout au long de notre histoire, la connaissance a été l’objet de jugements contradictoires, tant de la part des savants que du sens commun. Il est une réalité primordiale qui met la connaissance dans un continuum de transdisciplinarité où il n’existe aucune limite imposée par ce que l’on appelle aujourd’hui les spécialisations ou encore les disciplines. Toute connaissance est transdisciplinaire par essence. C’était et c’est encore le rôle qu’ont joué ces quelques dizaines de livres de philosophie auxquels j’étais initié dès mes 12 ans par mon père. J’avais une compréhension plus limité qu’aujourd’hui mais ils ont façonné en moi cette flamme d’interdisciplinarité et par là même l’envie d’apprendre et de comprendre le réel. Les médecines intégratives constituent une des multiples applications de la transdisciplinarité dans les sciences.
Parcours Éclectique
C’était en juillet 2003 que j’avais obtenu mon baccalauréat au sein d’un lycée public algérien, tout ce qu’il y a de plus banal. J’étais ensuite dans un institut de formation en kinésithérapie et j’avais fait là 3 ans d’études. J’étais destiné à travailler au sein du cabinet de ma mère. Une clientèle déjà établie, les patients se bousculaient par dizaines et parfois par centaines chaque jour y compris les weekends car chez nous, pas de rendez-vous, on travaillait 7 jours sur 7 y compris les jours de fêtes. Notre cabinet était connu dans tout l’est de l’Algérie. J’avais tout pour remplacer ma mère dans son grand cabinet.
Mon diplôme de masseur-kinésithérapeute en poche, je suis revenu travailler dans le cabinet de ma mère comme prévu mais ça n’a duré qu’un an car en 2007, j’ai décidé d’entamer un long cursus en sciences du sport en complément à ma formation de kinésithérapeute. J’étais accepté au concours de l’institut national supérieur des sciences et technologie du sport à Alger. Je voulais à l’époque devenir ce que l’on appelle un physiologiste de l’exercice, un parcours qui sans le savoir allait m’ouvrir beaucoup de portes, y compris celle de la nutrition car en nutrition, on vient toujours de quelque part.
Dans une discussion avec mon père, il me disait, tu dois profiter de ta présence à Alger pour te former à tout ce qui bouge ! Mon père et moi-même (je l’apprendrais plus tard) sommes ce que l’on appelle haut potentiel (émotionnel pour mon père et intellectuel pour moi-même). Il me disait de retour au cabinet tu auras besoin de toutes ces compétences. C’est ainsi que j’avais obtenu mon BTS en esthétique en cours de weekend en à peine 2 ans, une licence en anglais en cours du soir, et 3 diplômes d’entraîneur en 3 différentes spécialités sportives. Ajouté à cela, toutes les formations de courte durée que j’ai pu casé dans mon emploi du temps qui ressemblait à celui d’un ministre, allant de stages intensifs d’ostéopathie et de cuppingthérapie jusqu’à la programmation neurolinguistique et à l’hypnothérapie.
Il faut dire que je sortais souvent du cadre de ce qui pourrais réellement me servir au cabinet. C’est ainsi que j’avais appris l’allemand, un peu de russe, la programmation informatique et même le trading. Pour financer tout ça, je travaillais comme kinésithérapeute et 2 ans plus tard comme nutritionniste avec des équipes nationales et des clubs sportifs. Mon parcours de karatéka ceinture noire m’a ouvert les portes des équipe nationales et clubs d’arts martiaux.
Ma formation au CMDQ
Dans le même temps, je cherchais désespérément à me former en nutrition. Il n’y avait rien sur la nutrition à l’époque mis à part les quelques dizaines de livres de nutrition à l’institut où je faisais mes études. Bien que j’ai pu lire quelques-uns, les mêmes notions se répétaient quelques soit la langue du livre (arabe, français, anglais, allemand…). Ces livres me paraissaient inadaptés à la réalité du terrain. Et puis un jour, je me suis souvenu d’un site que j’avais consulté par hasard en 2005 en faisant des recherches sur mon mémoire de kinésithérapie, le site du CMDQ. A l’époque je ne savais pas encore qu’on pouvait faire une formation d’une aussi grande qualité 100% à distance.
Il faut dire qu’en 2005-2006 il n’y avait pas grand-chose sur la nutrition sur internet. Uniquement ce site web du CMDQ qui proposait des formations en médecines douces dont une nouvelle formation qui n’était pas proposée auparavant et qui avait retenu toute mon attention : la nutrition holistique. Le Collège des médecines douces du Québec proposait à l’époque et jusqu’à récemment cette formation. Les choses sont allées très vite. Au bout de quelques semaines j’avais déjà commencé ma formation en nutrition holistique (en janvier 2007) et ça a duré un an et demi ou un peu plus.
Il faut dire qu’à l’époque pour quelqu’un qui n’avait aucune connaissance en nutrition et qui en même temps avait plusieurs autres formations en cours, ça me demandait un effort considérable au début de suivre les premiers cours d’hygiène vitale, d’éducation à la santé et des fondements nutritionnels. Ces notions étaient nouvelles pour moi. Mais à chaque effort une récompense, comme on dit. Au-delà des connaissances très poussées que j’avais accumulée au cours de cette formation, j’avais en parallèle appris autre chose de plus important, la capacité d’être autonome et autodidacte.
Je ne l’avais pas vu venir au cours de cette formation, mais plus tard je me suis rendu compte qu’en grande partie grâce à cette formation de nutrition holistique, j’avais développé inconsciemment une méthodologie d’apprentissage autonome que j’utilise encore aujourd’hui de façon très spontanée comme chercheur. En recherche transdisciplinaire, on est confronté toujours à de nouvelles connaissances, de nouvelles approches, des techniques qu’on ne maitrise pas et tout cela doit être compris, maitrisé et approprié en un temps record.
Avec le Recul
En racontant sa propre histoire personnelle, on cherche en général à la rendre cohérente et logique. Or, 9 fois sur 10, les raisons qu’on croit au premier abord être derrière nos choix sont trompeuses. Je vais maintenant vous révéler ce qu’est la vraie raison derrière ce parcours très bouillonnant et souvent chamboulé par des évènements inattendus. Je suis actuellement chercheur et conférencier en sciences de la nutrition. Et de là où je vois les choses, je comprends maintenant que ce qui me motivait était tout simplement le plaisir et l’envie d’apprendre. Cela peut paraitre simpliste voire idéaliste mais c’est la stricte réalité. Je me retrouvais souvent sans argent à la moitié du mois car j’avais tout dépensé en achetant des livres et en assistant à des séminaires de formation. La transdisciplinarité est une idée géniale pour moi. Aucune limite dans un monde aussi vaste que la connaissance.
Le premier cygne noir dont je me souvienne était ce cours d’Approches Orthomoléculaires dans ma formation de nutritionniste holistique au CMDQ. Je me souviens avoir lu le support de cours plus d’une trentaine de fois et avoir dépensé tout ce que j’avais dans les 2 ans qui ont suivi à me former à la médecine orthomoléculaire.
Recherches à l’Horizon
Ça tombait bien car en 2010, l’année qui a suivi la fin de ma formation au CMDQ, des médecins algériens avaient fondé la Société Algérienne de Nutrition et de Médecine Orthomoléculaire (SANMO). Je n’étais pas parmi les fondateurs mais j’étais arrivé au bon moment car tous leurs conférenciers, du moins au début, étaient des allemands et des autrichiens. Je faisais des traductions de l’allemand au français au cours des séminaires de formation de la SANMO et j’étais en contact étroit en même temps avec des sommités mondiales. Il faut dire que ma formation en nutrition holistique m’avait permis d’acquérir un niveau exceptionnel en nutrition. Au jour d’aujourd’hui je reviens encore sur ce cours d’approches orthomoléculaires ainsi que parfois aux autres cours qui n’ont pas pris une ride. La formation et le travail de traducteur à la SANMO m’a permis de consolider mes connaissances mais surtout de tisser des liens et de me constituer un embryon de réseau, de ce qui deviendra quelques années plus tard mon réseau professionnel.
En 2012, je suis parti en France pour me former à la méthodologie de la recherche et pour explorer d’autres horizons. Et au cours même de mes études de master et de doctorat, je donnais déjà des conférences, des formations, du conseil auprès de sociétés de production de compléments alimentaires et je recevais également des patients et des sportifs. Je dois dire que la formation de nutrition holistique était (je mets ma casquette de trader) et reste parmi mes 5 meilleurs investissements à l’heure d’aujourd’hui et c’est grâce à ce passage au CMDQ que j’ai pu me lancer très rapidement dans le domaine des sciences de la nutrition.
De la nutrition holistique à la nutrigénétique
En 2018, j’ai fondé avec plusieurs collègues (généticiens, biologistes, médecins, chercheurs) la Société Francophone de Nutrithérapie et de Nutrigénétique Appliquée (SOFNNA), une société savante ayant pour objectif de former les professionnels de la santé à une nouvelle approche de la médecine orthomoléculaire et la micronutrition basée sur l’étude des voies métaboliques en rapport avec les nutriments (vitamines, minéraux, acides aminés, hormones, neurotransmetteurs…etc.). Les polymorphismes d’un seul nucléotide (sortes de mutations intervenant dans un seul nucléotide dans l’ADN), régulent la vitesse des voies métaboliques. Une voie métabolique peut être très rapide (extensive fast metabolizer) rapide (fast metabolizer), normale (normal metabolizer), lente (slow metabolizer), ou très lente (extensive slow metabolizer). On appelle ce principe ainsi que d’autres principes qui mettent en relation la biochimie nutritionnelle, le métabolisme et les gènes, la nutrigénétique.
Dans une conférence que j’avais donnée à Alger lors d’un séminaire de la SANMO en 2019, j’avais eu l’opportunité de discuté avec l’ex président de la Société Internationale de Médecine Orthomoléculaire, Pr Gert Schuitmaker, la discussion était tellement intéressante qu’on avait passé toute la soirée à discuter (jusqu’à une heure du matin) de l’importance de créer un renouveau des approches orthomoléculaires en y intégrant l’approche nutrigénétique.
Le cas de la vitamine B9
Parmi les exemples discutés était celui de la vitamine B9. On continue aujourd’hui à recommander l’acide folique (vitamine B9 de 2e génération) pour les femmes enceintes ou les patients carencés en vitamine B9. Ce dernier a une voie de métabolisation lente chez l’humain en comparaison avec le rat (voie 100 fois plus rapide que chez l’humain). Jusque-là, cela ne pose pas spécialement de problèmes, en tout cas pas de risque selon les données disponibles actuellement. Par contre, les 17 à 40% de la population mondiale qui présentent un ou plusieurs polymorphismes nucléotidiques de la MTHFR (Méthyltétrahydrofolate réductase), l’enzyme qui métabolise un substrat de l’acide folique codé par le gène qui porte le même nom, en 5MTHF (5-Méthyltétrahydrofolate), la forme bioactive de la vitamine B9, ce groupe de population a un risque plus élevé de développer des cancers (sein, colorectal, prostate…) à cause de l’acide folique.
Deux Conséquences Majeures
En effet, l’acide folique n’est pas la forme bioactive (qui est en réalité la 5MTHF) et lorsque la MTHFR fonctionne au ralenti (15-20% de sa vitesse normale lorsqu’on est porteur du/des polymorphismes correspondants), il est important de comprendre que cet acide folique devient toxique de plusieurs manières dont 2 principales :
- L’acide folique empêche la 5MTHF de se fixer sur ces récepteurs afin de donner l’effet biologique connu de la vitamine B9. Ceci est dû au fait que l’acide folique présente plus d’affinité au récepteur de la 5MTHF que la MTHF elle-même. Or, l’acide folique ne donne pas d’effet biologique car il ne s’agit pas ici de la forme bioactive de la vitamine B9. Par conséquent, une personne atteinte de polymorphismes de la MTHFR est déjà cliniquement carencée en vitamine B9 bioactive (5MTHF) mais sera encore cliniquement plus carencée en vitamine B9 en prenant de l’acide folique.
- L’accumulation de l’acide folique est cancérogène, car il n’est converti en 5MTHF que très lentement en cas de polymorphismes, ce qui conduit à une baisse des cellules NK (Natural Killers). Ceci explique le risque plus élevé de cancers associées à la prise d’acide folique dans la population générale documenté dans plusieurs études. Les résultats des méta analyses sont contradictoires car ils incluent des essais cliniques qui n’utilisent pas forcément le génotypage MTHFR des patients.
Un Chemin Personnalisé
Chaque micronutriment a un cheminement en nutrigénétique. Les formes moléculaires, la vitesse d’absorption intestinale et cellulaire, la vitesse de conversion au sein de la voie métabolique relative au nutriment, et la vitesse de métabolisation par le foie et les reins sont des processus qui permettent d’estimer les dosages, de proposer des formes et des synergies plus adaptées et plus personnalisées en fonction de la génétique et du métabolisme de l’individu et de contourner ainsi les polymorphismes génétiques présents chez l’individu. La génétique devient donc un moyen afin de comprendre et de restaurer le bon fonctionnement du métabolisme et non comme compris classiquement, quelque chose de statique vis-à-vis duquel on ne peut rien faire. Dans le cas de la vitamine B9, la solution est simple : prendre de la 5MTHF (vitamine B9 de 4e génération) au lieu de l’acide folique. Dans d’autres cas, c’est plus complexe mais il y a toujours des solutions adaptées et personnalisées quand on devient expert du métabolisme.
Nous publions des études régulièrement au sein de la SOFNNA
La SOFNNA a pour objectif également de produire des publications scientifiques dans le domaine des sciences de la nutrition et de la médecine intégrative. Avec mes collègues, nous avons publié en un an et demi une vingtaine d’études dont 7 concernant le Covid et 2 (qui me sont propres) sur l’application de l’intelligence artificielle dans la gestion de la pandémie Covid. Dans le cadre de mes activités également j’ai pu développer une application de mesure de la variabilité de la fréquence cardiaque (Precision HRV) disponible sur Google play et Apple Store. Il s’agit de mon second domaine d’expertise et mon second cygne noir également. Je vous en parlerais avec plaisir une autre fois. Actuellement, nous avons soumis à publication 14 autres études et 6 autres sont en cours de préparation.
De la nutrigénétique à la pharmacogénétique
En résumé, le nutrigénéticien est un expert du métabolisme nutritionnel. Une discipline similaire existe en pharmacologie, la pharmacogénétique. Les mêmes notions et principes sont utilisés mais appliquées sur les médicaments. Nous avons entamé depuis un an maintenant un autre projet titanesque qui intègre à la fois la nutrigénétique et la pharmacogénétique. Cela permet d’étudier les interactions nutriments-médicaments. Un nutrithérapeute n’a pas vocation à s’occuper des médicaments pris par son patient, énorme erreur ! Il n’y a pas la médecine conventionnelle d’un côté et la nutrithérapie de l’autre côté, souvenez-vous… la transdisciplinarité. Il existe des cas d’interactions nutriment-médicament très graves ou très bénéfiques -que je ne pourrais discuter ici- à connaître et maîtriser même si l’on est pas médecin. Un nutrithérapeute, un naturopathe ou n’importe quel praticien de la santé n’a pas la compétence de prescrire des médicaments mais il doit connaitre leurs interactions avec les outils qu’il utilise.
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