Monstrueux, mon néant exulte,
Sombre prison, vague et occulte.
Nourrisson dans un corps d’adulte,
Je me débats dans mon tumulte.
Et je n’apaise qu’en mangeant,
Presque jusqu’à l’étouffement,
Ma peur au ventre, ma peur des gens,
Douloureuse fuite en avant.
Image creuse, en négatif,
Imposture affabulatrice,
Parmi les autres je me contiens,
Quand je suis seule, je ne suis rien.
Me remplir pour nier le vide,
Me détruire, m’exploser le bide,
Moi, je ne suis pas dans ma peau,
Je ne fais qu’y loger mes maux.
Présentation
Je m’appelle Astrid, je suis étudiante en Nutrithérapie depuis quelques mois, et la boulimie, je connais bien. Pas tellement pour l’avoir étudiée, mais surtout pour l’avoir vécue. Comme pour beaucoup de boulimiques, ça n’a jamais été marqué sur mon front, ni sur mon corps d’ailleurs: je n’ai jamais été ni maigre ni en surpoids, j’ai toujours eu ce qu’on pourrait appeler “tout-pour-être-heureuse” (avec quelques coups et blessures de la vie, évidemment, mais rien de plus grave que la moyenne). J’avais l’air normale, et je faisais tout pour maintenir cette apparence. En fait, je ne me sentais jamais à ma place nulle part, et j’avais l’impression de devenir folle à me goinfrer sans raison, sans faim, sans fin.
De la boulimie, on ne connaît souvent que le côté “sensationnel”: le binge-eating avec, parfois, le passage obligé par les toilettes pour se faire vomir ensuite, phénomène aussi spectaculaire qu’incompréhensible. Pourtant, il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg, du symptôme d’un dysfonctionnement beaucoup plus profond. En effet, la boulimie n’est pas un problème nutritionnel. La boulimie, telle que je la connais, c’est une forme d’addiction. On est des toxicos de la bouffe (voir note 1.) Toutefois, la nourriture, ce n’est quand même pas une substance dangereuse! – me direz-vous?
L’addiction: Comment, Pourquoi?
Je me rappelle avoir lu quelque part que l’addiction, c’est la rencontre entre une personnalité, une substance et un moment. Enlevez l’un des trois, et il n’y aura pas d’addiction.
Les boulimiques ont des personnalités particulières (Voir note 2.) D’un point de vue psychologique, la majorité de la population, les gens “normaux” sont névrosés. C’est-à-dire qu’ils sont passés par le stade de l’Oedipe et qu’ils ont intégré la séparation d’avec “maman”. Pour les boulimiques, il semblerait que ce ne soit pas le cas, qu’on ait loupé la marche de l’Oedipe pour une raison ou pour une autre.
On devient alors des personnes parfaitement développées intellectuellement et physiquement, mais émotionnellement, on en est restés au stade du bébé. On pense ne faire qu’un avec sa “maman” mais en grandissant, la “maman”, ce n’est plus uniquement la mère. Cela peut être aussi la compagne/le compagnon, les amis, le/la boss… bref, les autres, quoi.
Le paradoxe de n’avoir pas pu se séparer, c’est qu’avec notre cerveau “bébé”, on se prend pour le centre du monde – on prend tout pour nous, ou plutôt contre nous -, tout en n’ayant pas été à même de se construire un Soi (différencié de l’Autre).
Cela explique pourquoi la boulimie se déclenche presque toujours à l’adolescence: il s’agit d’une période cruciale de découverte et d’affirmation de Soi. Donc, si on n’a pas de Soi, on n’a rien à affirmer. Rien qu’un immense vide effrayant, dévorant, qu’on essaie tant bien que mal de dissimuler aux autres en se construisant une personnalité d’emprunt, un faux-self (Voir note 3.)
La plupart d’entre nous se débrouillent très bien à ce jeu là. On apprend à paraître, parce qu’on ne comprend pas comment être. Mais on a beau faire semblant, le vide intersidéral est toujours là. Alors l’inconscient va trouver un moyen de le remplir, au moins temporairement. Voilà comment des personnes, en apparence “normales” se retrouvent à vider le frigo, à faire la razzia sur tous les placards, à ingurgiter des repas complets pour 5 ou 6 personnes, à se relever la nuit pour se goinfrer. Puis à se restreindre ou à se faire vomir avant de recommencer.
Comment sort-on de ce schéma?
Notre inconscient – c’est valable pour tout le monde – est notre meilleur kit de survie. Même si les solutions qu’il trouve à nos problèmes peuvent être parfois farfelues et peu pratiques.
Aussi pénibles et inappropriées soient-elles, les crises de boulimie, sont une bouée de sauvetage qui nous permet de survivre dans notre océan de vide. Comme on aurait besoin d’apprendre à nager pour pouvoir lâcher cette bouée, on a besoin d’apprendre à vivre pour ne plus simplement survivre.
Pour moi, “apprendre à vivre”, c’est passé par une psychothérapie de groupe: une thérapie encadrée par Catherine Hervais, une psy bienveillante mais confrontante et authentique, qui ne se laisse pas avoir par nos “disques rayés” sur nos crises ou nos malheurs, et qui ne nous laisse pas fuir dans la plainte ou l’agressivité (car dans ces cas-là, c’est le faux-self qui parle). Elle nous oblige au contraire à fonctionner avec l’Autre, à le/la prendre en compte comme un sujet au lieu de s’en servir comme d’un objet auquel, soit on se cogne, soit on s’accroche. Du coup, on devient nous-mêmes des sujets, d’abord face à l’Autre, puis pour nous-mêmes.
La thérapie ne change pas notre structure mentale, on ne devient pas des névrosés pour autant. Mais on apprend à se construire, à s’autonomiser, à “se nourrir” dans la relation avec soi-même et avec les autres. Petit à petit, on n’a plus besoin de se goinfrer pour se sentir rempli.
Astrid Prévost
Notes:
1. Titre du livre de Catherine Hervais, Les toxicos de la bouffe.
2. Certaines personnes peuvent toutefois connaître des “épisodes boulimiques”, par ennui ou par déprime sans pour autant rentrer dans ce schéma de personnalité. Ce fut le cas d’Elizabeth Taylor, par exemple.
3. Formule utilisée par le psychanalyste Donald W. Winnicott.
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